Louange quotidienne
Un membre d'animal mort trône dans notre cuisine. Il s'agit de la cuisse d'un cochon, de son pied, de ses doigt et leur corne...
Dans certains pays, il est mal perçu de manger un animal. Alors, on triche, on camoufle, on hache menu-menu, on en fait des boulettes. On mange sa ration de protéines, en oubliant le plus possible notre statut d'ancien chasseur.
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Dans notre maison, nous essayons d'avoir une pensée pour chaque animal dont nous nous nourrissons. Dire que nous le faisons à chaque fois serait un mensonge, mais nous essayons le plus possible de ne pas oublier. Plus qu'une pensée... une visualisation, un remerciement, silencieux ou prononcé.
Je rêve un jour de peindre les portraits de ces animaux que nous mangeons, un boeuf , un cochon, tous couronnés de fleurs...
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"Quand la soupe bout dans la marmite,
Vite à table, s'écrie le marmiton
Accourrez, venez tous et bien vite
Recevoir de la nature tous ces dons (bis)"
(Air russe: Katyusha)
S'il y a un endroit où les dons de la nature sont célébrés, c'est bien , chaque jour, en cuisine. Être païen, n'est-ce pas avant tout SENTIR et ressentir le monde qui nous entoure? Se sentir lié, enchevêtre par des liens, des racines, de sang et de sève.
Une connexion, un ancrage.
Païen-pays-paysan...
Être païen ce n'est pas se définir en opposition à une religion, ce n'est pas non plus regarder Viking sur son ordinateur en mangeant un kébab.
C'est une philosophie quotidienne, qui se traduit par des actes d'une humilité extrême, d'un émerveillement quotidien presqu'enfantin.
Les natures mortes des fruits sortis de mes paniers au retours du marché sont à chaque fois un spectacle magnifique, une explosion de gaieté et de vie dans ma cuisine si minérale.
Le fil des saisons...
Et pourtant, nous l'avons lâché ce fil! La quasi toute puissance de l'homme a brouillé les cartes: tomates toute l'année, fraises en hiver... Et si nous ne voulons pas lâcher prise avec cette mémoire viscérale qu'est ce lien entre l'homme, la nature et les saisons, il nous faut alors faire preuve de connaissances, d'effort et de contrition devant les étals. Sans parler d'un certain talent de pédagogue pour expliquer aux enfants pourquoi nous décidons volontairement d'attendre encore avant de nous faire plaisir avec ce fruit qui nous fait tant envie: pour faire du quotidien une série des fêtes.
Chez nous en Septembre, l'arrivée des pommes va remplir mes enfants de joie, comme d'autres se jetteraient sur un paquet de bonbons!
Mais, à l'inverse, ne délaissons pas trop vite les légumes d'été pour ceux de l'automne. Nos ancêtres pensaient réserves, conserves et savaient Ô combien l'hiver serait inlassablement nourri de courges...
J'ai remarqué autour de moi la fierté des personnes qui font des bocaux eux même. L'impression de mettre le soleil en conserve pour l'ouvrir au coeur de l'hiver, mêlé à un sentiment d'autosuffisance et d'ancrage dans la tradition, dans la terre. Une réponse à un sentiment sans doute extrêmement archaïque et donc extrêmement précieux.
La conservation dans l'huile ou les astuces d'une mère de famille nombreuse:
Je n'ai pas le sentiment de faire de cuisine. Plutôt... d'accomoder! Depuis l'été, j'ouvre une multitude de bocaux huileux et je dresse rapidement.
J'ai pu, auparavant, passer une après midi entière à faire ces préparations afin d'être libérée dans les semaines qui suivraient:
comme ces kilos de poivrons rouge épluchés,
assaisonnés d'aïl, d'échalottes, de citron... et recouvert d'huile d'olive.
Les poivrons, écrasés sur quelques tranches de pain grillées, frottées d'aïl accompagnent des morceaux de chèvre frais eux aussi marinés, toujours à disposition sur un coin de meuble...
un peu de jambon coupé sur l'os par le père qui distribue, achèvent un repas bien simple mais délicieux.
Ces reserves de dernière minute, des bocaux d'anchois, (ou de poulpes dont je raffole), de poireaux blanchis et citronnés (eux aussi en bocal recouverts d'huile d'olive) acommodent le plat le plus simple du monde:
...et permettent aux parents et aux enfants des arrangements de dernière minute autours d'une base commune.
(L'assiette de la plus jeune: du beurre. )
Une vaisselle choisie,
une table bien dressée est un égard, une attention, pour la nature dont nous nous nourrissons, et bien sûr pour la famille elle-même, dont la cohésion se noue autour de souvenirs aussi futiles d'apparence que la rondeur d'un plat à pommes de terre en bois, la sonorité creuse d'une assiette en faïence.
Odeur, bruit, goût...
La nature est si belle et notre époque si laide... Chassons cette laideur de nos foyers et transmettons une certaine vision de notre idéal, chaque jour, à travers cette mémoire profonde qu'est la mémoire sensorielle, la mémoire sensible, la mémoire païenne....